Médiathèque
Simon Reynolds, Sonic Fiction
… ou, si c’est ça le futur, comment se fait-il que la musique soit si naze ?
(texte paru dans Loops 01, 2009, une traduction Luneville) v2 26052011

Je peux précisément me rappeler de ma première impression, de mon premier souvenir qui n’était pas juste. Ma scène préférée de La Guerre des Etoiles est celle du bar louche - de la Cantine, pour les fans - dans la ville de Mos Esley, refuge des pirates de l'espace. Dans l’une de leurs tavernes, Luke Skywalker et Obi-Wan Kenobi louent les services de Han Solo et de Chewbacca pour fuir la planète Tatooine. J’ai vu le film à l’âge de treize ans, à sa sortie en 1977, et j’ai été immédiatement captivé par le groupe du bar, des extra-terrestres déplumés aux yeux d’insectes qui jouaient une musique faite de sons bizarres sur des instruments futuristes.

Après avoir revu le film à la télévision quelques années plus tard (avant qu’il soit renommé Star Wars Episode IV : Un nouvel espoir), j’ai réalisé stupéfait que la musique étrange qui m’avait laissé un souvenir si marquant était en fait toute nulle et bien ringarde. N’étant plus un adolescent influençable mais un adulte cultivé, j’ai reconnu de suite la musique des extra-terrestres : un jazz d'avant la Seconde Guerre Mondiale, le compositeur John Williams voulant sans doute évoquer les ambiances des bars clandestins de la Prohibition. Quant aux instruments inédits, ils se révélaient comme des modèles de saxophone, de clarinette et de trompette en plastique, vaguement bricolés.

Williams, pour composer ce morceau intitulé Mad About Me, avait imaginé ‘des créatures du futur écoutant le swing du Benny Goodman des années 30… et se demandant comment elles allaient pouvoir l’interpréter’. En revisionnant la scène à l’occasion de l’écriture de cet article, j’ai noté que la musique n’est pas juste une reproduction fidèle d’un truc passé. Il y a un steeldrum déglingué qui imprime une pulsation rythmique, et les lignes de basse semblent jouées au synthétiseur. Mais l’air reste totalement raccord avec ce qu’on pourrait entendre dans un film de Woody Allen ou dans une comédie musicale rétro type Bugsy Malone, sortie d’ailleurs en 1976, un an avant Star Wars . Ça sonne comme quelque chose de ‘déjà entendu’, comme le plagiat d’un truc connu impossible à identifier. La tentative de Williams d’apporter des éléments contemporains reste vaine, tant la fusion clinquante a pour effet de dater la composition une deuxième fois : en plus des années 30, elle s’ancre dans les années 70. Elle sonne comme du mauvais Weather Report, ou pire, comme du Manhattan Transfer. (à suivre)